Réglementaire

Catastrophe de Courrières : prémices de la maîtrise du risque d’explosion – Épisode 1

Premier épisode de notre série dédiée aux accidents majeurs qui ont fait évoluer la sécurité industrielle et la réglementation, notamment en matière d’ATEX. Nous commençons par la catastrophe de Courrières, survenue en 1906, une tragédie qui a posé les bases d’une volonté de maîtrise du risque d’explosion.

Le 10 mars 1906, une explosion sans précédent a eu lieu dans la mine de Courrières, coûtant la vie à 1 099 mineurs. Cet événement tragique deviendra l’accident fondateur de la prise en compte de la sécurité industrielle en milieu explosif, comme une première pierre de l’édifice ATEX.

 

La ville de Courrières et l’exploitation minière

Courrières est une ville du nord de la France, située près de Lille. En 1906, cette ville était animée par l’exploitation minière et comptait environ 4 900 habitants. Les mines étaient alors exploitées par la Compagnie des Mines de Courrières, qui exploitait plusieurs mines de charbon dans le Pas-de-Calais. Elle portait ce nom car le premier puits qu’elle a exploité était situé dans la ville de Courrières. À cette époque, la compagnie fournissait 7 % de la production nationale de charbon.

L’extraction du charbon a commencé au XVIIe siècle. C’était le combustible numéro un, capable de générer la vapeur nécessaire pour faire fonctionner trains et bateaux durant l’essor industriel de l’Europe. La France comptait de nombreuses autres compagnies exploitant le charbon, faisant travailler plus de 60 000 mineurs. Malgré cette production, l’Europe connaîtra une pénurie de charbon, aggravée par les conséquences de la Première Guerre mondiale et la destruction des fosses à charbon.

 

Une journée à la mine

Catastrophe de Courrières

(Source : Association des Amis du Musée de la Mine de Saint-Étienne)

Chaque jour, des adultes, des enfants, des chevaux et des mulets descendaient au fond des fosses pour récupérer le précieux charbon. Différents métiers coexistaient, et divers grades organisaient l’activité. Le « chef-porion » était le plus haut gradé et coordonnait toutes les activités de la mine, en coopération avec le « porion » (contremaître). Les autres métiers comprenaient l’abatteur (qui abat le charbon), l’ »about » (responsable de l’entretien des puits), le « bowetteur » (qui creuse les galeries principales) et le « meneur qu’evaux » (qui guide les chevaux dans les galeries).

Les femmes qui travaillaient dans la mine étaient appelées « cafus » (elles triaient le charbon et chargeaient les berlines) et « lampistes » (elles entretenaient les lampes). Les enfants pouvaient commencer à travailler dès l’âge de 8 ans. Ils étaient désignés comme « galibots » (jeunes apprentis) et portaient les lampes, les seaux et autres matériels.

Chaque matin, à leur arrivée au puits, les travailleurs se changeaient dans « la salle des pendus », où ils rangeaient leurs vêtements dans des paniers hissés et suspendus au plafond. Ainsi, leurs vêtements étaient à l’abri de la poussière et de l’humidité. Ensuite, chacun se rendait à la lampisterie pour se munir d’une lampe, en échange d’un jeton de présence. C’était le moment de dire adieu à la surface et de descendre dans les galeries profondes, à environ 300 mètres sous terre, pour quatorze heures de travail.

Les mineurs étaient plongés dans l’obscurité toute la journée, dans des galeries où la chaleur était difficilement supportable. Des animaux accompagnaient également les mineurs. Des chevaux étaient présents pour tracter les « berlines », et des canaris, ces petits oiseaux jaunes, étaient très sensibles au monoxyde de carbone. Si un canari s’évanouissait ou mourait, cela signalait une présence dangereuse de monoxyde de carbone, indiquant un risque d’explosion en cas d’étincelle. C’est d’ailleurs la couleur des canaris qui a inspiré la couleur des détecteurs de gaz actuels (jaune et noir).

 

Catastrophe de Courrières : l’explosion du 10 mars 1906

Ce matin-là, 1 800 mineurs étaient descendus dans la mine lorsque, vers 6 h 30, une énorme explosion appelée “coup de grisou” a balayé plus de 110 km de galerie. Le souffle et la puissance de l’explosion ont projeté certains corps à plus de 5 mètres de hauteur. L’explosion fut telle que des secousses ont été ressenties à plusieurs kilomètres à la ronde. Beaucoup de mineurs se sont retrouvés bloqués à 340 mètres sous terre. Les opérations de sauvetage ont rapidement débuté, mais l’air n’était pas respirable, et de nombreuses personnes qui avaient survécu à l’explosion sont décédées asphyxiées.

Un « coup de poussière », précédé d’un coup de grisou, est également survenu.

Catastrophe de Courrières

(Catastrophe de Courrières – Les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres – Sources : Wikipedia – Photo libre de droits)

Le grisou est un gaz essentiellement composé de méthane et d’une petite part d’hydrogène (qui explose très rapidement, à 0,02 %). Il provient de la fermentation et de la décomposition de matières organiques, étant présent dans les veines de charbon non exploitées ou entre les veines de charbon et la roche. Certaines couches de charbon pouvaient contenir jusqu’à 20 m³ de grisou par tonne de charbon extraite. Une flamme ou une étincelle chaude pouvait suffire à déclencher une explosion.

Étant donné que le grisou est inodore et incolore, il existait plusieurs façons de le détecter, notamment grâce aux canaris. S’ils mouraient ou s’évanouissaient, cela signifiait qu’il y avait une présence de grisou. Pendant très longtemps, à part le canari, la seule manière de détecter la présence éventuelle de gaz était la lampe de sûreté à flamme, un dispositif quelque peu léger face au danger permanent.

Il convient de noter que le « coup de grisou » n’est pas la seule explosion qui peut survenir dans une mine. Étant donné la gravité de la catastrophe de Courrières, il est probable qu’un « coup de poussière » ait eu lieu juste après le coup de grisou. La première explosion a entraîné un nuage de poussières en suspension, et la friction des molécules de poussières a certainement provoqué une seconde explosion. Ce type de danger peut également être observé dans les minoteries qui manipulent de la farine alimentaire.

Pour Courrières, en plus du comportement agité des animaux, les mineurs avaient signalé quelques jours auparavant une concentration importante de grisou, certains refusant même de descendre. Cependant, la compagnie minière a ignoré leurs alertes, probablement en raison du rythme de production effréné à maintenir pour soutenir l’essor industriel de l’Europe.

Seulement trois jours après l’accident, l’État a décidé d’abandonner les recherches de survivants. Les mineurs ont rejeté cette décision, convaincus que d’autres survivants pouvaient être retrouvés. En effet, plusieurs mineurs ont été découverts plus de 20 jours après l’explosion. En réaction, plus de 60 000 mineurs de France et de Belgique se sont révoltés, exigeant de meilleures conditions de travail.

À la suite de ce mouvement social, la compagnie minière a décidé d’augmenter les salaires, et le gouvernement a instauré un jour de repos hebdomadaire.

Catastrophe de Courrières

(Les Femmes assises en rond attendent sur le carreau de la Fosse de Sallaumines – Source : Wikipedia – Photo libre de droits)

 

La catastrophe de Courrières a coûté la vie à 1 099 personnes et reste l’accident minier le plus meurtrier en Europe à l’époque. De nombreuses familles se sont retrouvées sans leurs soutiens et, par conséquent, sans revenus. La compagnie minière a versé plus d’un million de francs aux familles des victimes, et des dons ont été réalisés par de nombreuses personnes à travers la France, marquant le début d’une caisse de solidarité, qui préfigurait la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Un jour de repos hebdomadaire a été instauré.

À la suite de cet événement tragique, les normes de sécurité dans les mines ont évolué.

 

Rendez-vous au prochain épisode de notre série d’articles dédiée aux évolutions de la prise en compte du risque explosif…

 

Sources de cet article